Lancé en 2000, comme une collaboration entre le Classics Centre de l’Université d’Oxford et le Centre Louis Gernet (CNRS/EHESS) à Paris, le projet Bibliotheca Academica Translationum (BAT) a comme objectif d’étudier les interprétations du monde gréco-romain et la diffusion du savoir classique dans l’Europe des XVIIIe et XIXe siècles : l’examen des œuvres d’érudition classique publiées et traduites pendant cette période (par exemple, le Decline and Fall of the roman empire de Gibbon et ses traductions) ainsi que la reconstitution du paysage historique, politique et épistémologique dont relève la publication des originaux et de leurs traductions constituent les principaux objets de notre travail.
La Bat est une recherche interdisciplinaire qui réunit à la fois des spécialistes de l’Europe moderne et contemporaine et des spécialistes de l’Antiquité. L’historiographie de l’Antiquité, l’histoire des relations interculturelles ainsi que l’histoire des savoirs et des livres sont les principaux domaines de référence de ce projet.
Nous avons choisi comme point de départ chronologique le XVIIIe siècle, parce que, avec la montée des langues vernaculaires, la traduction devient alors un médiateur important. Le projet s’étend jusqu’à la Première guerre mondiale et la Révolution russe.
Cependant, il ne s’agit pas d’inscrire le XVIIIe et le XIXe siècle dans la perspective d’une continuité historique sans faille. Il est évident que la perception de l’Antiquité fait l’objet d’un remaniement profond, dès lors que la République des Lettres vole en éclats, pour céder la place à une organisation du savoir selon le Sturm und Drang. Il est donc évident que la genèse des particularismes nationaux dans l’ère post-révolutionnaire, l’historisation des savoirs ainsi que la croyance du XIXe siècle au progrès et à la science sont à l’origine de formes de connaissance et d’interprétations inédites du monde gréco-romain. Mais, de l’autre côté, peut-on, au nom du cloisonnement académique qui sépare l’histoire moderne de l’histoire contemporaine, éluder des thématiques qui, au XVIIIe siècle, jalonnent l’historiographie de l’Antiquité et qui se retrouvent dans l’historiographie du XIXe, investies des enjeux idéologico-politiques engendrés par l’expérience révolutionnaire et par l’avènement des nationalismes ?
Dans cette perspective nous souhaitons mener une enquête comparative, à la fois dans l’espace et dans le temps européen : confronter les lectures croisées de l’Antiquité que proposent les représentants des Lumières, du Scottish Enlightenment et de l’Aufklärung ; mesurer l’emprise qu’exerça sur l’Antiquité le passage d’un cosmopolitisme lié à l’impératif de l’universalité vers un jeu cosmopolite qui consiste à mettre en contact voire à opposer les différentes lectures de la Grèce en vertu de leurs spécificités nationales ; saisir de manière transversale les transformations que de nombreux thèmes (par exemple, l’opposition Athènes / Sparte ou la coupure entre la liberté ancienne et la liberté moderne) subissent d’un siècle à l’autre et d’une langue à l’autre. Telles sont pour l’essentiel les thématiques que nous privilégions, en espérant contribuer ainsi à la compréhension des relations entre l’Antiquité et la Modernité.